Les emplois du moulage en musée
Article par Marie-Françoise Carillo, Peggy Cabot et Clotilde de Maria
Préparatrice au laboratoire, médiatrice auprès du public déficient visuel, médiatrice auprès du jeune public au muséum de Toulouse.
Le moulage est l’action de prendre une empreinte d’un objet qui servira ensuite de moule dans lequel sera placé un matériau et qui permettra le tirage, ou la production en plusieurs exemplaires.
L’activité de moulage est courante dans les musées, elle consiste à reproduire à l’identique plusieurs copies d’un objet patrimonial.
Depuis la réouverture du muséum d’histoire naturelle de Toulouse en 2008, le moulage est devenu une activité à part entière au sein de l’équipe de préparation.
Le développement et la diversité des offres aux publics ont provoqué une vraie dynamique de production en terme de matériel d’expositions, d’études, pédagogiques, d’échanges et de partenariat entre institutions. Les répliques sont réalisées à l’aide d’un moule en silicone et peuvent être en résines de coulée (polyuréthane, élastomère, acrylique… ) ou parfois en plâtre. Les nouvelles technologies d’imprimantes 3D, permettent la réalisation de copies sans avoir à manipuler l’original, on appelle cela un moulage sans contact.
Quelle que soit la discipline d’un musée, il est souhaitable de présenter des originaux au public, de façon à ce qu’il soit en relation directe avec l’objet. Dans certains cas, cependant, il est préférable de substituer l’original pour une copie.
DANS QUEL CAS PRÉSENTE-T-ON DES COPIES AU PUBLIC ?
Lorsqu’il est impossible d’exposer un objet, la réalisation d’un moulage ou d’une reconstitution d’après documentation est envisagée.
Des originaux fragiles ou fragilisés
Dans un souci de conservation, il peut être préférable d’exposer une copie, la présentation au public mettant en péril la survie de l’objet.
C’est le cas de l’Ampelomeryx ginsburgi, le cerf-girafe, unique représentant du genre Ampelomeryx, espèce fossile de mammifères artiodactyles herbivores appartenant à la famille des Palaemerycidae. Ce spécimen fait partie des découvertes paléontologiques provenant du chantier de fouilles situé à Montréal-du-Gers et exploité depuis 1987 par le muséum d’histoire naturelle de Toulouse. Il a été présenté dans l’espace dédié à la paléontologie en surfaces d’exposition permanente. Mais en 2009, des variations climatiques trop importantes et des éléments de support mal adaptés menaçant l’intégrité du spécimen, il a été décidé de retirer l’original et de réaliser un moulage.
Le spécimen étant lui même fragile, la tâche a consisté, dans un premier temps, à consolider l’objet et à le protéger avec un isolant afin de pouvoir appliquer le silicone en toute sérénité. Il existe aujourd’hui plusieurs types de silicones de deux grandes catégories : le polyaddition et le polycondensation. Ayant eux même différentes duretés (appelées shore) et temps de prise très variables, il est facile de pouvoir travailler avec du matériel adapté.
La première copie, réalisée en résine de coulée, est conservée et servira de référence pour la réalisation d’autres moules. C’est le « maître moule ». Les moules en silicones ont une durée de vie limitée qui excède rarement quinze ans. Elle dépend du type de silicone, de sa stabilité et de ses conditions de conservation (son exposition à la chaleur et aux U.V.).
Plusieurs copies peuvent être réalisées. Les résines utilisées seront choisies en fonction de l’usage de l’objet, et dans le cas d’une reproduction pour de l’exposition, on choisira une résine de coulée qui présente certaines caractéristiques comme la fluidité pour une meilleure précision, son rendu visuel, mais aussi son temps de prise. La partie la plus stimulante, est la mise en teinte, étape décisive permettant de faire du « travail de faussaire » ! Il est possible de donner une teinte de base, en incorporant des pâtes pigmentaires au mélange de la résine et de son catalyseur, ensuite, le travail se fait en surface, en appliquant des pigments, des peintures acryliques, et ou en faisant usage d’un aérographe, outil qui permet de projeter de la peinture avec de l’air comprimé. L’objectif est d’obtenir la copie la plus fidèle possible, non pas pour tromper le public, mais dans un souci de faire parvenir les informations nécessaires à la juste lecture de l’objet.
Lorsque l’objet doit voyager
Les institutions peuvent prêter leurs collections notamment dans le cadre d’ expositions temporaires, d’échanges, de partenariat ou d’études. Ces prêts sont soumis à diverses contraintes, notamment les conditions environnementales et de sécurité du lieu d’accueil, et si les conditions ne sont pas réunies, il ne peut avoir lieu. Dans ce cas, le moulage est également une solution.
En 2011, ont été réalisées quinze copies du crâne de Papillon, un ours mâle des Pyrénées, le dernier de son espèce, mort de vieillesse en 2004 et naturalisé au muséum en 2007. Il faisait partie d’un programme de recherche et a ainsi pu être étudié dans plusieurs organismes français. Au sein du muséum, une copie a été utilisée pour la médiation tous publics dans les réserves pédagogiques et auprès du public déficient visuel dans le cadre de l’exposition Ours.
Pour de l’itinérance, la circulation de fac-similés est plus indiquée, le transport, les expositions et la manipulation fragilisant les biens patrimoniaux. En 2010, l’impression 3D de la sépulture néolithique de Téviec, réalisée à partir de la numérisation, a permis l’itinérance de Préhistoire, l’enquête, une exposition d’intérêt international.
Lorsqu’il est impossible de se fournir l’original ou une copie
En ces cas-ci, une reconstitution peut-être réalisée à partir d’une documentation précise.
Pour l’exposition Île de Pâques, le nombril du monde ?, la cabine de la frégate La Flore, dans laquelle a voyagé Pierre Loti en 1892, a pu être reconstituée à partir d’illustrations réalisées par l’écrivain. Un espace a été intégralement réaménagé après un gros travail de documentation. Différentes pièces ont été produites en interne dont un moai Kavakava, un homme oiseau et un pectoral Rei Miro. Ils ont été sculptés, teintés et patinés pour être présentés au public. Un moulage de chaque prototype a été fait de façon à pouvoir proposer du matériel pédagogique lors d’ateliers spécifiques. Cela a permis de garantir l’accessibilité et l’itinérance de l’exposition au public déficient visuel.
Reconstitution de la cabine de Pierre Loti sur la frégate La Flore pour l’exposition Île de Pâques, le nombril du monde ? (2018-2019) – photo. : Jacques Serpinski
MOULAGE ET ACCESSIBILITÉ : VERS UNE DÉMOCRATISATION CULTURELLE
Depuis sa réouverture en 2008, le muséum mène une politique dynamique pour attirer de nouveaux publics. C’est ainsi, qu’une équipe de médiateurs spécifique et adaptée a été mise en place en direction des scolaires, de la petite enfance, et du public en situation de handicap. Régulièrement, en fonction du discours scientifique inhérent aux expositions programmées, des ateliers pédagogiques et visites, sont conçus.
La réalisation de copies des objets de collections permet une lecture différente des biens patrimoniaux et dans certains cas est le seul lien entre le public et l’objet.
Des copies en acrylique vont permettre au public mal ou non voyant de toucher les objets de collections. Une expérience forte pour ces enfants ou adultes leur permettant d’interagir avec l’objet par de la manipulation faisant du visiteur l’acteur de sa visite. Cette rencontre se fait par la présence bienveillante de médiateurs dont le métier a pour principal objectif l’accessibilité.
Depuis 2018, le projet d’un tact-illustré présentant les différentes disciplines du muséum voit le jour. Conjointement avec des membres de l’équipe de la médiathèque, et de l’équipe de la conservation, une approche différente et sensible sur le patrimoine est proposée.
Ce projet aboutira en 2020 par l’édition de deux cent ouvrages contenant du texte en braille, du son, et des répliques d’objets.
Les réalisations en résines peuvent servir également de support pédagogique, et permettent à des publics comme celui de la petite enfance à mieux appréhender le discours scientifique.
En 2017, en écho à l’exposition sur Rapaces une visite a été conçue par la médiatrice en charge du jeune public. C’est ainsi que Super oiseau est né. Un simple oiseau triste et déprimé, se voit pourvu au fil de l’histoire contée durant la visite , d’attributs de grand rapace, tel qu’un bec crochu, de pattes munies de serres, d’yeux et d’une paire d’ailes gigantesques. L’oiseau ainsi que certains de ses attributs ont été réalisés par une couturière. Au laboratoire de taxidermie des prises d’empreintes sur une dépouille ont permis à l’oiseau un peu triste d’acquérir les pattes d’un autour des palombes (Accipiter gentilis). Répliques en élastomère de polyuréthane, ces pattes sont à la fois résistantes aux nombreuses manipulations et fidèles à l’original faisant du premier oiseau bionique, le plus heureux des piafs !
Lors d’une visite, un enfant atteint de troubles du comportements et muet depuis plusieurs semaines s’est écrié « Oiseau ! » au contact du super héro sous le regard médusé des médiateurs et de l’équipe d’éducateurs accompagnant.
MOULAGE ET IMPRESSION 3D
L’avancée des nouvelles technologie 3D permet aujourd’hui de réaliser des copies d’objets de collections sans avoir à les manipuler. Cela présente un réel avantage dans la mesure où certains objets sont vraiment fragiles et ne pourraient résister à l’application de silicone.
N’ayant pas les compétences et les technologies en interne, le muséum fait appel à un prestataire extérieur pour la réalisation des fichiers numériques ainsi que pour l’impression des copies. Ces fichiers numériques viennent enrichir la documentation des collections.
C’est ainsi que l’exposition itinérante Préhistoire, l’enquête a pu voir le jour. À la suite de la réalisation d’un scan médical, dans un objectif de restauration, une impression 3D a été possible. Cependant, le remontage, et la fixation ainsi que la mise en teinte ont été fait en interne. Le coût des réalisations peut-être conséquent et varie en fonction de la qualité d’impression et de la densité du matériau de reproduction choisi. Dans certains cas il est nécessaire de réaliser un moule de la reproduction obtenue par impression 3D, afin de pouvoir faire des tirages dans des résines ayant des caractéristiques différentes, notamment pour du matériel pédagogique.
Pour conclure, si aujourd’hui l’évolution des technologies 3D reste remarquable, elle vient en complément du moulage artisanal. Ces deux méthodes de reproductions, cohabitent et répondent à des besoins différents.